Marcel lecteur de Sartre en 1946
DOI:
https://doi.org/10.25244/tf.v13i3.1224Palavras-chave:
Gabriel Marcel. Sartre. Anne Mary. Vérité de la Liberté. Existence. Dieu.Resumo
En 1946, Gabriel Marcel prononça une belle conférence dont plusieurs aspects restent intéressants et actuels pour nous, en 2019. Intitulé L"™existence et la liberté humaine chez Jean-Paul Sartre, ce texte marque un tournant décisif dans sa relation philosophique avec Sartre. « C"™est de cette période que date, selon Marcel, la dégradation des relations entre les deux hommes », comme le note Anne Mary en 2014 dans un article bien informé. Mon exposé récapitulatif se bâtira en deux séquences complémentaires : la première partie retracera sommairement l"™historique de ces relations, tandis que la deuxième partie commentera les points saillants de la conférence de 1946. Une troisième partie élargira ensuite le questionnement, sans prétendre pour autant apporter une conclusion définitive quant à l"™ultime signification métaphysique du désaccord entre Gabriel Marcel et Jean-Paul Sartre.
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Referências
Anne Mary, « Les rapports de Jean-Paul Sartre et de Gabriel Marcel : "Le point de divergence, c"™est le fait même de Dieu" » [texte cité désormais : Sartre et Marcel ; le point de divergence], Bibliothèque nationale de France, Revue de la BNF, 2014/3, n° 48, p. 52-61 ([adresse Internet :] https://www.cairn.info/revue-de-la-bibliotheque-nationale-de-france-2014-3-page-52.htm) ; je cite ici la page 60.
Denis Huisman, « Gabriel Marcel lecteur et juge de Jean-Paul Sartre », Existence chez Sartre, p. 14 ; plus spécialement, voir ibid., p. 9-10 (note 1), et p. 13-15.
Denis Huisman, « Gabriel Marcel lecteur et juge de Jean-Paul Sartre », Existence chez Sartre, p. 10, suite de la note 1.
Voir Anne Mary, Sartre et Marcel ; le point de divergence, p. 54 et p. 56.
Adressée par Sartre à Marcel en 1943, cette lettre est conservée au département des Manuscrits de la BNF sous la cote NAF 28349, et Anne Mary la publie et la commente dans son article consacré à Sartre et Marcel ; le point de divergence (voir ci-dessus, dans ma note 2, les références détaillées à cet article).
Même lettre de Sartre à Marcel (voir A. Mary, Sartre et Marcel ; le point de divergence, p. 55-56). Anne Mary rappelle (ibid., p. 59) que la notion de situation « est théorisée par Marcel [...] dans des articles publiés dans la revue Recherches philosophiques en 1932-1933 ("Situation fondamentale et situation-limite chez Karl Jaspers"), puis en 1936-1937 ("Aperçus phénoménologiques sur l"™être en situation"). Ces deux textes [...] sont repris dans le livre de Marcel Du refus à l"™invocation [...] ».
Gabriel Marcel, Du refus à l"™invocation, Paris, Gallimard, 1940, p. 20.
Pour ces deux citations : Gabriel Marcel, « De la recherche philosophique », dans Entretiens autour de Gabriel Marcel (Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, 24-31 août 1973), ouvrage collectif, Neuchâtel (Suisse), Éditions de La Baconnière, 1976, p. 10-11 (texte que je cite ici à partir de Denis Huisman, « Gabriel Marcel lecteur et juge de Jean-Paul Sartre », Existence chez Sartre, p. 16-17).
« L"™importance de [la] pensée [de Sartre] ne saurait, à mon avis, être sous-estimée. [...] [Cette] pensée [est] [...] beaucoup trop impressionnante [...] pour qu"™on n"™ait pas le devoir de la considérer avec un maximum d"™objectivité, et de la critiquer très sérieusement [...]. » (Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 34-35.)
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 62 ; voir aussi ibid., p. 89.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 69.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 33 ; voir aussi ibid., p. 35 et p. 53.
« Ici je vais vous lire quelques textes que personnellement j"™admire beaucoup [...]. » (Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 45.)
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 35.
Jean-Paul Sartre, Å’uvres romanesques, édition établie par Michel Contat et Michel Rybalka avec la collaboration de Geneviève Idt et George H. Bauer, Paris, Gallimard, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 1981, La Nausée, p. 152-153. Marcel cite une partie de ce passage dans Existence chez Sartre, p. 44-45 ; les petites différences entre le texte cité par Marcel et celui que je cite tiennent au fait que j"™utilise une édition plus récente et révisée de La Nausée.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 42 ; voir aussi ibid., p. 43-44. L"™existence « se démasque ; elle perd son allure inoffensive, catégorique, abstraite [...]. Elle se révèle comme effrayante et obscène nudité. Je m"™excuse de cet adjectif obscène qui revient tout le temps, mais c"™est ainsi et nous verrons de mieux en mieux pourquoi » (ibid., p. 43).
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 38.
Voir Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 35.
Voir Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 38.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 39.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 40-41.
La nausée se trouve originellement liée « à l"™expérience du fluent "” nous ne disons pas du fluide, mais du fluent "” pour autant que celui-ci s"™empâte, qu"™il affecte une spécieuse et molle solidité. Tout cela est assez répugnant, je le reconnais volontiers » (Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 37-38).
Marcel raconte à ce propos une anecdote qui ne manque pas de sel : « Il y a quelques années, après un exposé que Sartre [...] avait fait chez moi [= 21 Rue de Tournon, à Paris], je lui avais dit : "Vous devriez faire une analyse du visqueux, c"™est tout à fait votre domaine." Je dois dire qu"™il a suivi mon conseil puisqu"™il a consacré quelques pages au visqueux qui sont absolument remarquables ; j"™en suis très heureux et très fier puisque c"™est moi qui lui en ai suggéré l"™idée. » (Existence chez Sartre, p. 41.)
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 76.
Jean-Paul Sartre, L"™Être et le Néant. Essai d"™ontologie phénoménologique [1943], édition corrigée avec index par Arlette Elkaïm-Sartre, Paris, Gallimard, collection « Tel », 2004, p. 485. Marcel cite ce passage dans Existence chez Sartre, p. 76 ; les petites différences entre le texte cité par Marcel et celui que je cite tiennent au fait que j"™utilise une édition plus récente et corrigée de L"™Être et le Néant.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 51.
Voir par exemple Jean-Paul Sartre, L"™Être et le Néant, édition citée plus haut, p. 483-484 : « Dire que le pour-soi a à être ce qu"™il est, dire qu"™il est ce qu"™il n"™est pas en n"™étant pas ce qu"™il est, [...] c"™est dire une seule et même chose, à savoir que l"™homme est libre. »
Voir Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 77-78.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 73. Marcel renvoie ici à Robert Campbell, Jean-Paul Sartre ou Une littérature philosophique, Paris, Éditions Pierre Ardent, 1945.
Jean-Paul Sartre, Å’uvres romanesques, édition citée plus haut, Le Sursis, p. 1057-1058. Marcel cite ce passage dans Existence chez Sartre, p. 73-74 ; les petites différences entre le texte cité par Marcel et celui que je cite tiennent au fait que j"™utilise une édition plus récente et révisée du Sursis. Comme le remarquent bien les éditeurs de ce volume de la « Bibliothèque de la Pléiade », p. 2008, note concernant la p. 1058 du Sursis, cette formulation figure dans L"™Être et le Néant (dans l"™édition citée plus haut, p. 484) : « Je suis condamné à exister pour toujours par-delí mon essence, par-delí les mobiles et les motifs de mon acte : je suis condamné à être libre. Cela signifie qu"™on ne saurait trouver à ma liberté d"™autres limites qu"™elle-même ou [...] que nous ne sommes pas libres de cesser d"™être libres. »
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 74-75.
Voir Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 75.
Voir Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 53.
Voir par exemple Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 57, 58, 61, 76, 85.
Voir Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 76-77.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 77.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 52.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 53.
Voir Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 75 : « Par quelle prestidigitation peut-on passer du manque, de l"™indétermination, à la décision proprement dite ? »
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 50.
« La mauvaise foi consiste dans un certain art de former des concepts contradictoires unissant en eux une idée et la négation de cette idée. » (Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 55.)
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 61.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 48.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 62-63.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 51.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 73.
Jean-Paul Sartre, L"™Être et le Néant, édition citée plus haut, p. 79.
Jean-Paul Sartre, L"™Être et le Néant, édition citée plus haut, p. 80.
« Sartre fait un usage abusif de l"™idée de négation. "Se dégager de" ne veut pas dire "nier", et le mot "néantisation" est gravement équivoque. [...] [Ce] mot de "néantisation" [...] est impropre, est abusif, je dirai même est malhonnête [...]. » (Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 78-79.)
« Sartre n"™a pas hésité à déclarer oralement qu"™il est le seul à pouvoir parler aujourd"™hui d"™absolu, car la liberté à ses yeux est [...] un absolu ; je crois que c"™est vraiment la plus extraordinaire aberration que nous trouvions chez lui. » (Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 72.)
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 82.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 87.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 81.
Voir Jean-Paul Sartre, L"™Être et le Néant, édition citée plus haut, p. 640-641 : « [La] générosité est avant tout fonction destructrice. [...] Mais cette rage de détruire qu"™il y a au fond de la générosité n"™est pas autre chose qu"™une rage de posséder. Tout ce que j"™abandonne, tout ce que je donne, j"™en jouis d"™une manière supérieure par le don que j"™en fais ; [...] donner, c"™est jouir possessivement de l"™objet qu"™on donne, c"™est un contact destructif-appropriatif. Mais, en même temps, le don envoûte celui à qui l"™on donne [...]. Donner, c"™est asservir. [...] [Donner], c"™est s"™approprier par la destruction en utilisant cette destruction pour s"™asservir l"™autre. » Gabriel Marcel cite et critique ce texte : « Pensez-vous qu"™une définition comme celle-lí rende compte d"™une expérience authentique du don ? [...] [Pouvons-nous] dire sans absurdité, sans un abus scandaleux, que le don [...] présente toujours ce caractère ? Évidemment non. » (Existence chez Sartre, p. 79-80.)
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 87. Le thème de la condition itinérante anime l"™Å“uvre de Marcel, et tout particulièrement l"™ouvrage intitulé Homo viator. Prolégomènes à une métaphysique de l"™espérance, Paris, Éditions Aubier-Montaigne, 1945 ; et voir Marie-Madeleine Davy, Un philosophe itinérant. Gabriel Marcel, Paris, Flammarion, 1959, surtout p. 25-38.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 88. Sur la négation radicale de la grâce chez Sartre, voir ibid., p. 76 et p. 79.
Voir Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 45.
Voir Jean-Paul Sartre, Å’uvres romanesques, édition citée plus haut, Le Sursis, p. 852 : « On me voit ; [...] ça me voit. [Daniel] était l"™objet d"™un regard. [...] [Un] regard opaque [...] qui l"™attendait lí , au fond de lui, et qui le condamnait à être lui-même, [...] pour l"™éternité. [...] Comme si la nuit était regard. » Voir aussi ibid., p. 907 : « Dieu regardait Daniel. L"™appellerai-je Dieu ? Un seul mot et tout change. [...] Tout était éternel. [...] Mon regard est creux, le regard de Dieu le traverse de part en part. » Ou encore ibid., p. 1097 : « Et il n"™y avait personne [...]. Mais le regard était lí . [...] [J"™étais] à la fois transpercé et opaque, j"™existais en présence d"™un regard. Depuis, je n"™ai pas cessé d"™être devant témoin. » Et n"™oublions pas cette confidence faite par Sartre à S. de Beauvoir : « Dans le fond, le rapport avec l"™autre, je l"™ai toujours eu, mais abstrait ; je vis sous une conscience d"™autrui qui me regarde. Et cette conscience peut être aussi bien Dieu [...] que Bost ; c"™est un autre que moi, constitué comme moi et qui me voit. » (Simone de Beauvoir, La cérémonie des adieux, suivi de Entretiens avec Jean-Paul Sartre, août-septembre 1974, Paris, Gallimard [1981], collection « Folio », 1987, p. 403 ; voir aussi ibid., p. 609.)
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 34.
Voir Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 48.
Voir Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 69.
Voir Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 71-72. Sur cette négation du nous-sujet, voir aussi Anne Mary, Sartre et Marcel ; le point de divergence, p. 60.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 64-65.
Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 33. Sartre attribue plutôt ce non-achèvement à une lassitude philosophique ; voir son dialogue de 1974 avec S. de Beauvoir : « S. de B. "” [Après] L"™Être et le Néant, vous avez commencé à écrire une morale. J.-P. S. "” Oui, je voulais l"™écrire ; mais je l"™ai remise à plus tard. [...] J"™ai fait L"™Être et le Néant et puis je me suis fatigué ; lí aussi il y avait une suite possible, je ne l"™ai pas faite. » (Simone de Beauvoir, Entretiens avec Jean-Paul Sartre, édition citée plus haut, p. 259 et p. 262.)
« L"™ontologie ne saurait formuler [...] des prescriptions morales. Elle s"™occupe uniquement de ce qui est, et il n"™est pas possible de tirer des impératifs de ses indicatifs. Elle laisse entrevoir cependant ce que sera une éthique qui prendra ses responsabilités en face d"™une réalité-humaine en situation. » (Jean-Paul Sartre, L"™Être et le Néant, édition citée plus haut, p. 673-674.) Et voir le texte d"™Arlette Elkaïm-Sartre qui introduit les Cahiers pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 7.
Jean-Paul Sartre, L"™Être et le Néant, édition citée plus haut, p. 674. Sur la psychanalyse existentielle, voir ibid., surtout p. 602-620.
Jean-Paul Sartre, lettre à Gabriel Marcel publiée par A. Mary en 2014 dans la Revue de la BNF (voir ci-dessus, dans ma note 2, les références complètes à l"™article d"™Anne Mary qui, reprenant une formulation de Sartre tirée de cette même lettre, intitule fort justement son article : « Les rapports de Jean-Paul Sartre et de Gabriel Marcel : "Le point de divergence, c"™est le fait même de Dieu" »), p. 57.
Simone de Beauvoir, Entretiens avec Jean-Paul Sartre, édition citée plus haut, p. 613.
Simone de Beauvoir, Entretiens avec Jean-Paul Sartre, édition citée plus haut, p. 616.
Jean-Paul Sartre, L"™Être et le Néant, édition citée plus haut, p. 613. Et voir Simone de Beauvoir, Entretiens avec Jean-Paul Sartre, édition citée plus haut, p. 615 : dans L"™Être et le Néant, « j"™ai essayé de montrer que Dieu aurait dû être "l"™en-soi pour soi", c"™est-í -dire un en-soi infini, habité par un pour-soi infini, et que cette notion d"™ "en-soi pour soi" était [...] contradictoire et ne pouvait pas constituer une preuve de l"™existence de Dieu ».
Jean-Paul Sartre, L"™Être et le Néant, édition citée plus haut, p. 662.
Concluant sa conférence de 1946, Marcel s"™interrogeait sur ce que serait l"™avenir de la pensée de Sartre : « [Je] ne vois pas qu"™il puisse être question pour lui de rien changer à ce qui fait le fond de sa doctrine. [...] Avouons, d"™ailleurs, qu"™il serait bien étrange qu"™un philosophe parvenu à ce degré de notoriété [...] fournît l"™effort héroïque [...] que nécessiterait une reconsidération massive de postulats qui trouvent un écho profond dans sa nature, et comme dans sa constitution psychanalytique. » (Gabriel Marcel, Existence chez Sartre, p. 89-90.)
Timothy Radcliffe, O. P., Que votre joie soit parfaite, ouvrage traduit de l"™anglais par SÅ“ur Pascale-Dominique, O. P., et Micheline Triomphe, Paris, Les Éditions du Cerf, 2004, p. 135.
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